« La lumière est dans le livre. Ouvrez le livre tout grand. Laissez-le rayonner, laissez-le faire. »
Victor Hugo
(Extrait du Discours d'ouverture du congrès littéraire, 1878)

Journée à la plage


     Malia courait entre les cabines de bain en toile huilée sur le sable. Elle traînait derrière elle un petit cerf-volant en forme de diamant au bout duquel un ruban bleu cyan serpentait. Le vent ne soufflait pas assez fort et la petite fille de cinq ans s'obstinait à le faire s'envoler. Son père, Gabriel Galudra, lui avait fabriqué pour son anniversaire et elle avait attendu les vacances estivales à Granville pour s'en servir. Une brise s'engouffra par la Tranchée aux Anglais au moment où Malia s'approcha de la cale qui descendait à la mer. La ficelle se tendit et le cerf-volant prit de l'altitude. Des cris de joie se firent entendre sur la plage.

– Père ! Père ! Regardez ! Il vole... ça y est, il vole !!!
– Mademoiselle Malia, revenez par ici. Monsieur votre Père ne peut pas le voir.
– Mais Augustine, il est haut dans le ciel. Tout le monde peut le voir, rit-elle.

     Augustine Ghadir était la gouvernante de Malia depuis que Armance, la mère de la petite, était tombée malade. La jeune femme d'une vingtaine d'années, la suivait avec peine, sous le soleil de ce mois de juillet 1895 ; elle n'était pas très endurante et préférait les pâtisseries. Malia était obéissante et polie mais regorgeait de vitalité et de malice, d'intrépidité et de curiosité pour tout ce qui l'entourait. Et en cet instant, la seule chose qui occupait son esprit subtil était de montrer à son père que le cerf-volant avait pris le chemin des embruns. Elle avait compris, malgré son âge, d'où venait le courant d'air nécessaire, et qu'elle ne pouvait pas bouger sans faire chuter son écoufle.

– Augustine, allez chercher Père !
– Vous savez bien que je ne peux pas vous laisser seule...
– Vous n'aurez pas à le faire, la rassura le nouveau venu. Je vous libère, je vais m'occuper de Malia.
– Merci, Monsieur.

     La gouvernante salua Gabriel et embrassa la petite fille pour qui elle avait beaucoup d'affection. Malia piétinait d'impatience et attendait que l'homme lui porte toute son attention. Il s'approcha de sa fille et s'accroupit près d'elle.

La Tranchée aux Anglais 1886

– Père ! Vous le voyez ?
– Bien sûr ! Il anime le ciel. Tout le monde l'aperçoit, c'est assez rare d'en voir, tu le sais.
– Mère l'a vu ?

     Armance venait à Granville tous les étés depuis trois années pour les bains de mer. Le médecin qui la suivait à Paris lui avait conseillé le repos au grand air et vanté les vertus de l'eau salée sur la tonification du corps. La ligne de chemin de fer Paris-Granville avait conduit la famille Galudra dans ce port de pêche. Ils étaient descendus à l'Hôtel des Bains, à quelques dizaines de mètres de la plage du Plat Gousset, pour y passer le mois de juillet. Tous les jours, selon la marée, Gabriel accompagnait son épouse pour son immersion dans l'eau. Ensuite, si le temps y était propice, Armance restait sous une cabine de toile pour se sécher au soleil. Mais, aujourd'hui, malgré la chaleur très agréable et la douceur de l'air, elle était trop fatiguée pour rester sur la plage. Elle avait demandé à son époux de la raccompagner à leur chambre. Une fois endormie, Gabriel avait rejoint sa fille.


– Non, Malia ! Elle n'a pas eu cette chance.
– Mère dort ?
– Oui ! Tu lui montreras une autre fois... maintenant que tu sais le faire voler.
– C'est parce qu'ici, il y a du vent ! s'exclama-t-elle, oubliant aussitôt sa mère. Mais si je bouge, il va tomber. Ça vient de là ! expliqua-t-elle en pointant la Tranchée aux Anglais.

     La tranchée marquait le passage vers la plage et le casino en bois. Mais c'était surtout un véritable gouffre à air. L'endroit idéal pour qu'une petite fille y fasse voler son cerf-volant... et prenne froid en cette fin d'après-midi. Gabriel attrapa la ficelle de l'écoufle et aida Malia a enfilé un cardigan. Ils restèrent un moment à observer le cerf-volant dans le ciel, à le faire tourbillonner. Le ruban bleu cyan glissait dans l'air : il donnait le sourire aux personnes qui quittaient la plage, émerveillait les enfants qui passaient sur la passerelle, amusait les touristes assis à la terrasse du casino. Un moment de sérénité et d'insouciance entre Gabriel et sa fille.


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